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Congo : Quand les élus du peuple se retrouvent en prison pour des motifs les plus flous !

Après 32 années du régime Mobutu caractérisé par des violations flagrantes des droits et libertés, Laurent-Désiré Kabila succède à ce dernier le 17 mai 1997 grâce aux troupes venues principalement de l’Ouganda et du Rwanda. Ce changement n’apporte aucune embellie au niveau des droits et libertés. Fin juillet 1998, on assiste à la rupture entre LD Kabila et ses parrains. Durant plusieurs années, un conflit armé va opposer le nouveau pouvoir congolais à des « mouvements rebelles » créés et soutenus par les gouvernements de ces deux pays voisins.

En juillet 1999, les belligérants concluent un accord de cessez-le-feu à Lusaka, en Zambie, et conviennent de l’organisation d’un « dialogue inter congolais» devant aboutir à l’avènement d’un nouvel ordre politique fondé sur la démocratie et le respect des droits de l’Homme. Le 16 janvier 2001, LD Kabila meurt. Il est remplacé par Joseph Kabila.

Le 18 février 2006, une nouvelle Constitution est promulguée. Quelques principes de base sont affirmés : la séparation des pouvoirs avec l’indépendance du pouvoir judiciaire comme corollaire, le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine, la liberté, l’égalité etc. Le changement n’a eu lieu que sur papier. En réalité, les abus n’ont pas cessé : arrestation et détention arbitraires, non-respect des droits de la défense, perquisition illégale. Les fonctionnaires civils et militaires sont les premiers «violeurs» de tous les principes qui précèdent.

A titre d’exemples, le deuxième alinéa de l’article 16 de la Constitution dispose notamment : «(…). Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique (…). Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. (…)». L’article 17 d’enchaîner : « La liberté individuelle est garantie. Elle est la règle, la détention l’exception. (…) ». Les articles 18 et 19 proclament respectivement que «la garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures. A l’expiration de ce délai la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente ». «(…). Le droit de la défense est organisé et garanti. (…) ».

Que constate-t-on ?

Les forces dites de sécurité (police nationale, services de renseignements civils et militaires, garde présidentielle dite garde républicaine) relèvent de l’autorité exclusive du président de la République. Ces forces peuvent arrêter et détenir qui elles veulent sans limite de délai. Il est de notoriété publique que ces forces pratiquent la torture. L’assassinat de Floribert Chebeya, le 1er juin 2010, tient lieu de cas emblématique. Le corps de son chauffeur, Fidèle Bazana, n’a jamais été retrouvé. Pire, aucun magistrat n’a accès aux personnes détenues dans les cachots secrets «gérés» par ces organismes sécuritaires.

Quel est le problème ?

Dans la Constitution actuellement en vigueur, le législateur congolais a prévu de très beaux principes. Il a omis de prévoir d’y attacher des sanctions en cas de violations. Ce vide juridique est exploité par tous les «voyous de la République».

Deux cas concrets de violation des droits humains

Le cas Eugène Diomi Ndongala

Proche du leader de l’opposition Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Eugène Diomi Ndongala, président du parti « Démocratie chrétienne » est détenu depuis le mois d’avril 2013 à la prison centrale de Makala. Il est accusé de «viol».

Son véritable crime ? Il conteste la « victoire » de Joseph Kabila à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Les résultats de cette consultation politique ont été dénoncés notamment par des observateurs de l’Union européenne sans omettre l’ONG américaine « Centre Carter ».

Le 22 juin 2012, le député Diomi a été enlevé à proximité de l’église Notre-Dame de Kinshasa par des agents de l’Agence nationale de renseignements à quelques minutes de l’organisation d’une manifestation en faveur d’Etienne Tshisekedi qui passe pour le véritable vainqueur de la présidentielle. Après avoir été détenu durant plusieurs mois par les «services», il a réapparu, à la surprise générale, à la veille de la tenue du sommet de la Francophonie en octobre 2012.

Depuis le 8 avril 2013, Diomi est détenu à nouveau arbitrairement à la prison de Makala. Et ce après avoir été arrêté sans le moindre mandat d’arrêt. Ses droits à la défense sont méconnus par des magistrats inféodés à la Présidence de la République. D’aucuns estiment que Diomi peut être considéré, à juste titre, comme un « prisonnier personnel » du président congolais Joseph Kabila.

Notons que Diomi a été élu député national lors des législatives du 28 novembre 2011. Son mandat a été invalidé quelques mois après pour « absentéisme ». Une démonstration de la persécution dont il fait l’objet de la part d’un pouvoir intolérant. Un pouvoir qui a en horreur toute forme de contradiction alors que l’article 6 de la charte fondamentale reconnaît le «pluralisme politique» et les partis politiques.

Détenu à la prison de Makala, Diomi Ndongala a la santé déclinante. Le pouvoir rechigne à lui faire bénéficier des soins exigés par son état de santé.

Le cas du député national Muhindo Nzangi Butondo

La Cour suprême de justice, section judiciaire, faisant office de Cour de cassation et siégeant en matière de flagrance, a condamné en son audience publique mardi 13 août 2013, le député national Muhindo Nzangi Butondo, élu de Goma, à 3 ans de prison ferme pour «atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat». Le parlementaire a été initialement accusé d’«offense au chef de l’Etat». Ce dernier chef d’inculpation est devenu courant pour faire taire les contempteurs du régime.

En vacances parlementaires à Goma, Muhindo Nzangi a participé le 11 août 2013 à un débat radiodiffusé (Radio Kivu One) à téléphone ouvert. Après l’émission, il est arrêté par des agents de l’ANR (Sûreté) qui l’ont accusé d’avoir tenu « des propos de nature à inciter la population à la révolte et susceptibles de troubler l’ordre public ». C’était à l’époque où la guerre faisait rage entre les combattants du M23 et l’armée congolaise.

Qu’avait-il dit exactement?

Selon des témoignages convergents, ce parlementaire qui avait face à lui un représentant de l’opposition, un analyste et deux membres activistes de la société civile avait émis un commentaire sur l’ultimatum d’une semaine lancé à l’époque par la société civile du Nord-Kivu à la brigade d’intervention des Nations Unies de lancer les opérations contre les groupes armés dont le M23. « La Société civile ne devait pas s’attaquer à la Monusco et devait plutôt s’adresser au gouvernement et au chef de l’Etat qui est le commandant Suprême des Forces Armées de la République », avait-il déclaré lors de cette émission. Ajoutant : «Le chef de l’Etat est le commandant suprême des forces armées. Aucune action militaire ne peut être menée ou arrêtées sans ses ordres sur l’ensemble du territoire national».

Le député national Muhindo Nzangi croupit actuellement à la prison de Makala. A l’instar de Diomi Ndongala, le sort de cet homme politique dépend du «bon plaisir» du chef de l’Etat. La séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire n’ont jamais été que des slogans creux au Congo démocratique.

AFD International dénonce la détention arbitraire de Mr. Eugène Diomi Ndongala et appelle les autorités congolaises à prendre leur responsabilité vu son état de santé alarmant.

AFD International demande à ce que la liberté d’expression soit respectée et que justice soit rendue à Mr. Muhindo Nzangi Butondo dans le cadre d’un procès équitable.

Ces deux cas renforcent AFD International dans sa demande à l’Etat de RDC à respecter toutes les conventions internationales relatif des droits humains fondamentaux dont elle est signataire et l’appelle à mettre en place une politique de dialogue et de cohésion sociale à la place de la répression systématique adoptée à ce jour, et dont les faits décris ci précédemment en témoignent clairement.

Bruxelles, le 14/02/2014

Département Afrique Subsaharienne
Bruxelles, Belgique

Contact: africa@afdinternational.org

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